L'acceptation par la Belgique du transit de matériel de l'armée
américaine par son territoire : une violation du droit international?

Paru dans le Journal du Juriste, N°19, 25 février 2003, p. 7.
Olivier Corten
Centre de droit international de l'U.L.B.
Faculté de droit, CP 137
50, av. Roosevelt, 1050 Bruxelles

 

 

 

 

 

 



Depuis plusieurs semaines, les autorités belges ont accepté que du
matériel militaire américaine transite par le port d'Anvers pour
arriver dans la région du Golfe. Plusieurs organisations pacifistes
critiquent cet appui indirect à la guerre menée par les Etats-Unis
contre l'Irak. La Belgique répond qu'elle est liée par des
obligations strictes souscrites dans le cadre de l'Organisation du
Traité de l'Atlantique Nord. Que dit le droit international à ce
sujet ?


L'illicéité de l'intervention militaire américaine

Pour répondre à cette question, il faut d'abord signaler que
l'intervention militaire des Etats-Unis contre l'Iraq est totalement
contraire à la Charte des Nations Unies. L'armée américaine lance en
effet depuis la fin de l'année 2002, de manière quasi quotidienne,
des raids aériens offensifs sur certaines zones du territoire irakien
afin de détruire des batteries anti-aériennes ou d'autres dispositifs
militaires de défense. Le gouvernement des Etats-Unis a par ailleurs
clairement menacé l'Irak de lancer une opération militaire massive
visant à la fois à détruire des armes de destruction massive et à
renverser le pouvoir de Saddam Hussein. Ce comportement viole
directement l'interdiction de recourir à la force, mais aussi de
menacer d'y recourir, inscrite notamment à l'article 2 § 4 de la
Charte des Nations Unies. L'Irak n'ayant agressé aucun autre Etat,
l'exception de légitime défense est inapplicable, le concept de "
légitime défense préventive " étant loin d'avoir acquis droit de cité
en droit international . Par ailleurs, à l'heure où nous écrivons ces
lignes, le Conseil de sécurité n'a aucunement autorisé un recours à
la force contre l'Irak, comme il l'avait fait lors de la guerre du
Golfe de 1991. La résolution 1441 (2002), souvent évoquée, ne
contient aucune formule propre à être interprétée en ce sens, les
quinze Etats membres du Conseil ayant, lors de son adoption,
explicitement écarté l'hypothèse de l'autorisation de recourir à la
force.

La Belgique complice d'un acte illicite ?

Loin d'accepter de participer directement à une attaque contre
l'Iraq, les autorités belges ont développé une politique active en
faveur d'une solution diplomatique encadrée par le Conseil de
sécurité des Nations Unies. A ce titre, leur comportement est
certainement irréprochable sur le plan du droit international. Il
faut cependant ajouter que celui-ci interdit aux Etats non seulement
de mener directement une intervention militaire offensive
unilatérale, mais aussi d'y participer, ou de la faciliter d'une
quelconque manière que ce soit. Dans cette perspective, il semble
pour le moins criticable de permettre à l'armée américaine de faire
parvenir son matériel militaire aux portes de l'Irak sans s'assurer
que ce matériel ne sera pas utilisé de façon contraire à la Charte
des Nations Unies. Si elle souhaite respecter intégralement toutes
ses obligations internationales, les autorités belges devraient dès
lors demander des garanties à leurs homologues américains que le
territoire belge ne soit en aucun cas utilisé pour faciliter une
attaque ou une menace unilatérales contre l'Irak. Pour l'instant, la
Belgique rétorque qu'elle serait tenue par des traités conclu dans le
cadre de l'OTAN qui lui laisseraient pas le choix. Outre que ceci
reste à démontrer -les traités en question semblent être restés
secrets et n'ont pas encore été rendus publics-, l'argument se heurte
à la circonstance que, comme l'indiquent tant la Charte de l'ONU
(article 103) que le Traité constitutif de l'OTAN lui-même (article
7), le " droit de l'OTAN " ne peut en aucun cas être interprété comme
écartant les règles impératives que les Etats ont souscrits dans le
cadre de l'ONU.

Le comportement actuel de la Belgique pose par conséquent question
sur le plan du droit international. Il va de soi que l'évolution
ultérieure des événements est amenée à modifier sensiblement les
termes du débat. Si une guerre est autorisée par le Conseil de
sécurité, la Belgique aura évidemment le droit (même si ce ne sera
pas un devoir) d'y participer. Si une guerre massive est au contraire
déclenchée sans autorisation du Conseil, les autorités belges devront
immédiatement cesser toute aide ou assistance à la commission de ce
fait internationalement illicite.

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